Interview de Norbert Engel (partie 2)

Tu ne t’es pas arrêté à cette première étape puisque de ce qu’il est convenu d’appeler du figuratif tu es passé à l’abstrait, dans des tableaux dont la particularité est toujours la grande présence des couleurs qui attrapent au vol le spectateur.

Pourquoi ce cap dans ta peinture ?

Ah, tu aussi tu parle de cap! Et heureusement tu ne parles pas de changement de cap 🙂

car pour moi il n’y a pas de dilemme figuratif ou abstrait.

ce que j’essaie de représenter ce qui me parait essentiel dans ce que je vois ou ressens c’est le « pour quoi » autrement dit.

Je peins d’une façon qui je l’espère aura un impact sur le spectateur.

Parfois je veux faire du figuratif parfois en abstractisant au maximum.

l’abstractisation pouvant être parfois une simplification des formes, une suppressions d’un maximum de détails qui ne me semblent pas essentiels, ou en supprimant parfois complètement les formes en utilisant uniquement la couleur.

l’abstrait chez moi part presque toujours de la nature ( ce que je vois, ce que je ressens, ce que je suis) à l’inverse des constructivistes ou de Mondrian par exemple, qui créent une réalité en fonction de rapports précisément définis par l’artiste et qui n’ont pas d’objet extérieur.

« le pourquoi je peins » pourrait peut-être se définir par une nécessité intérieure couplée avec une nécessité extérieure.

la nécessité intérieure est une énergie cachée qui se révèle de façon aléatoire et qui s’exprime par des taches.

Ou alors les taches sont des formes qui tombent du ciel et il me suffit de les coloriser plutôt que d’en inventer.

Lorsque je fais de l’abstrait l’aléatoire est important en ce qui concerne les lignes.

C’est surtout pour les couleurs que mes choix sont importants.

On pourrait dire que les lignes ou les forment tombent du ciel ou de mon inconscient et les couleurs montent de la mer ou de la terre, donc davantage de ma volonté et de cette union naît une création.

Donc la question abstrait ou figuratif est un faux problème.

Le vrai enjeu est d’arriver à faire une oeuvre comme disait Bazaine « qui soit incarnée »: « Que la sensation s’incarne dans une réalité immédiatement reconnaissable ou qu’elle s’incarne dans une réalité équivalente, il n’y a pas entre ces deux processus de création, de différence de nature ni même de degré. Le destin du monde ne se joue pas entre le figuratif ou l’abstrait, mais entre l’incarné et le non-incarné, ce qui est bien différent. » « l’incarné est ce rapport de contact entre le monde extérieur et intérieur, tandis que l’art désincarné qualifie l’art qui a perdu tout contact. » « Dans cette posture d’incarnation vis-à-vis du monde et de perméabilité, les formes que nous reconnaissons, et qui sont donc en nous. Ce n’est donc pas la nature que nous reconnaissons, mais une sensation, mais nous-même. »

J’adhère totalement à cette idée rejoignant de cette façon tous les peintres avec lesquels je me sens en parenté: Matisse, de Staël, Bazaine, et tous les expressionnistes abstraits américains jusqu’au peintres du Pop Art.

En fait tout art est abstrait dans la mesure où il n’est pas la nature, mais une contraction de la nature.

Toute création artistique est une création par un monde intérieur qui englobe le monde extérieur.

La création ou l’abstraction est une sorte d’empathie, une immersion dans le monde pour n’en retenir que les formes reconnaissables.