Norbert tu as commencé par peindre des nus, majoritairement des nus de femmes, aux traits de pinceaux de couleurs vives.
Puis tu t’es plus particulièrement attaché à des paysages, dont tu as saisi un instant de lumière ou aux contraire d’ombres, des objets du quotidien, des persiennes, des portes ou des objets singuliers, au contraire comme des valises de déportés exposées au musée de Budapest, des anges même …
A quoi attribues tu cette évolution ?
Le fait d’avoir peint à l’envi des corps de femmes pendant les 3 années de ma formation aux Arts Déco de Strasbourg, m’a fait ressentir que j’étais au plus profond de moi-même, peintre.
Mon maître Franck Helmlinger m’a vivement encouragé à continuer et à voler de mes propres ailes.
Peu de temps après, j’ai eu la chance de fréquenter le peintre Roger Dale avec qui j’ai travaillé quelques temps sur le motif du paysage en plein air.
Avec Roger et d’autres peintres nous avons réfléchi des heures et des heures sur les questions suivantes: « pourquoi peindre? », « quoi peindre? », « pour qui peindre? », « comment peindre », « qu’est ce que le style? »
Là, tu me poses la question des successifs « quoi peindre? ».
Le premier thème que j’ai choisi, c’était l’horizon.
Ce thème me touche profondément de façon irrationnelle. J’essaie de comprendre.
– la rencontre du ciel et de la terre: oui c’est très fort cette notion de rencontre. cette notion de « l’entre ».
– le ciel: oui très fort. Je pense au poème de Baudelaire: « qui aimes-tu homme énigmatique?… J’aime les nuages… qui passent… là-bas… les merveilleux nuages » J’ai passé toute mon adolescence à observer les métamorphoses des nuages et j’ai l’impression d’avoir emmagasiné dans ma mémoire tous les processus de métamorphoses que j’ai envie de restituer.
– la terre: non. c’est bizarre, sécheresse absolue de ce côté là la terre ne m’intéresse pas!
Ah, mais j’y pense, l’horizon c’est aussi, la rencontre du ciel et de la mer!
– la mer, là oui c’est énorme l’effet de la mer! Elle m’a terrorisé pendant de nombreuses années, évoquant le cauchemar de l’étouffement et de l’engloutissement. Ayant maintenant la chance d’habiter face à elle, j’ai pris le temps de maîtriser certains démons. Tantôt calme, chaude et accueillante, tantôt agitée, froide et inquiétante. Je profite de ses moments de calme pour la visiter, m’habituer progressivement aux situations de précarité qu’elle me fait découvrir, apprendre à composer avec elle, découvrir avec elle que le calme est le meilleur conseiller et que la panique est une création mortifère de l’esprit qu’il est possible de maîtriser progressivement. En osant m’y aventurer j’arrive à y trouver le calme, des sensations agréables, et découvrir l’union du lâcher-prise et du « garder le cap. »
Tiens, « Lâcher-prise tout en gardant le cap », voilà qui pourrait bien être ma définition du style en peinture 🙂
Et pour répondre à ta question:
A quoi attribues tu cette évolution ?
Je dirai que les différents thèmes qui se succèdent dans ma peinture sont peut-être la conséquence d’une prise de confiance en moi permettant ce lâcher-prise qui me donne envie de peindre ce que je vois.
Oui, je me sens un peintre de l’instant.
Je peins ce qui me touche en totale liberté.
Et c’est une transition toute trouvée avec la question suivante, car cette totale liberté fait que je ne suis pas préoccupé par la question du « que faire » du figuratif ou de l’abstrait, du décoratif ou de l’intello.
Cette liberté qui a pu être ressentie « comme un vide » par Hélion.
Chaque peintre se débat avec ses propres démons: certains ont peur de tomber dans le piège du décoratif ( composer un tableau comme le fleuriste fait un bouquet )