Y A-T’IL UNE COULEUR PRÉFÉRÉE?

Il est très difficile à un peintre de répondre à la question: « Quelle est la couleur que vous préférez et quelle est la couleur que vous aimez le moins? »: comme l’écrivain a besoin de toutes les lettres, le peintre a besoin de toutes les couleurs et ne devrait en lâcher aucune.

Le choix d’une couleur ne se fait pas uniquement par goût personnel mais c’est souvent la nécessité qui fait loi.

Combien de fois est-ce un beige ou un caca d’oie qui deviennent la touche finale improbable pour faire régner une harmonie sur la toile?

Rarement c’est avec ce type de couleur que le peintre va commencer un tableau!

Je vais plutôt commencer par un beau rouge vermillon, un bleu de cobalt ou un jaune d’or, qui sont le choix du cœur.

Ça y est: je viens de lâcher, d’abandonner, de trahir certaines couleurs, les parents pauvres de la peinture mais dont le peintre a besoin par nécessité et vous m’obligez à avouer que ma couleur préférée est le rouge!

J’aurais aussi pu choisir le bleu ou le jaune, mais le rouge est malgré tout la star.

Et puis ils y a celles dont je ne suis pas très fier mais dont je suis bien content qu’elles existent, celles qui ont la prétention d’être des couleurs mais qui sont en fait des mélanges, du remplissage, du n’importe quoi: les beigasses, les saumonées.

Toutes ces couleurs qui, a force de vouloir se prendre pour de vraies couleurs, finissent par pêter plus haut que leur cul et j’en arrive au caca d’oie!

Pardonnez ma trivialité, mais j’aime parler cru; c’est peut être pour cela que je suis peintre: la peinture permet cette expression franche directe et massive, sans circonvolutions.

Donc pour me plier à l’exercice, je choisis définitivement le rouge comme couleur préférée et comme opposé, le beige.

Le beige qui est la pire des compromissions!

J’aurais pu choisir aussi une autre couleur hybride comme le saumoné que j’obtiens en mélangeant du rouge et du jaune à du blanc: cela fait déjà beaucoup de mélanges!

Mais pour faire du beige, je suis obligé d’abord de faire un premier mélange qui n’est pas en odeur de sainteté, passez moi l’expression, je veux parler du marron ( que je fais en associant les trois couleurs primaires rouge, bleu et jaune), à ce marron j’ajoute du jaune comme si j’avais envie de me faire pardonner quelque chose et de sortir de la fange.

On pourrait pointer le paradoxe que les partisans du régime nazi qui étaient par principe hostiles à toute forme de mélange et donc de métissage, se travestissaient néanmoins en brun et beige.

Revenons à ma couleur préférée le rouge.

J’aime beaucoup la manière dont Jean Robertet parle du rouge.

« Rouge ne doit des autres couleurs moindre » :

Il voulait certainement dire que le rouge ne doit rien aux autres couleurs ni à personne: on pourrait d’ailleurs dire la même chose des deux autres couleurs primaires que sont le bleu et le jaune.

« Soy repputer, car il montre victoire,

Pompe, orgueil, arrogant, vaine gloire,

Qui ne peult haut et bas ne veut descendre »:

C’est très vrai! le rouge est la couleur de la victoire de la vie sur la mort.

Je mets du rouge sur une toile blanche et j’allume le feu;

Ce sont les jours de gloire d’un Attila qui envahit les steppes

Le rouge est une destruction créative.

C’est une irruption volcanique, une rupture, tout ce que vous ajoutez après, c’est pour atténuer son effet.

Le rouge est grandiose, unique et il se suffit à lui même.

Les révolutionnaires ont pris le rouge comme emblème, les anarchistes le noir, je ne sais pas pourquoi, moi j’aurais conseillé le rouge, mais un rouge plus sombre.

Contraire de l’humilité, le rouge est l’arrogance et orgueil, le rouge ne veut descendre, ne peut descendre, il aspire toujours à monter.

La couleur de l’expansion.

Oui j’adore le rouge: couleur de tous les excès, couleur du désir, de la croissance, de la démesure.

Couleur du sang.

Le sang qui « abreuve nos sillons ». Qui abreuve le Tanné comme aurait dit Robertet.

Qui redonne vie à tout ce qui est résigné, soumis, à tout ce qui doute, au brun et au beige « qui douteux peuvent estre ».